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Collectif

De mon expérience professionnelle au Canada


Déjà 10 ans que je suis au Canada et 8 ans que j'y travaille. En arrivant de France je me suis remis professionnellement en cause. J'ai bien essayé dans un premier temps de retrouver un emploi dans ma branche d'origine mais le cœur n'y était pas vraiment. Arrivé à presque 50 ans je ne me voyais plus m'escrimer en informatique, ne pas compter mes heures et mon stress, j'avais envie d'autre chose. Sur le net je suis tombé sur une petite annonce qui offrait des places de chauffeur de bus scolaire, je me suis dis pourquoi pas ? et j'ai pris rendez-vous. Je ne pense pas avoir été particulièrement brillant lors des premiers entretiens, tout en anglais qui n'est pas spécialement mon langage de prédilection à l'oral. J'ai fait ce que j'ai pu, à l'écris aussi pour passer mon permis, que j'ai obtenu ainsi que les test de conduite. Je n'étais pas peu fier, bien joué quand même pour un fervent adepte de la langue de molière, n'ayant jamais réellement pratiqué mon anglais depuis la fin lointaine de mes années scolaires.

First Student était (et doit toujours être ), la plus grosse compagnie de School Bus d'Amérique du Nord, USA, Canada et Grande Bretagne. Je me suis dis que s'était du sérieux et que j'y serais tranquille. Je me suis vite aperçu qu'effectivement c'était du lourd, formation intensive ainsi que préparation gratuite au permis B, en contre partie de l'engagement de travailler six mois pour l'entreprise. Avec le recul je pense que personne à First Student pensait que j'y ferais long feu, il faut dire que le turnover est énorme, pour ainsi dire tout le monde au Canada a été ou connait quelqu'un qui a été un jour chauffeur de bus scolaire. Le plus souvent les gens font ça quelques mois et trouvent vite autre chose. C'est très mal payé et très exigeant : Levé très tôt, inspection par tous les temps du bus, gestion de la relation avec les enfants demandant une grosse patience, énorme responsabilité pour cette cargaison journalière incommensurablement précieuse, si tant est qu'elle ait un prix.

Avec le recul, je m’aperçois que ma première année fut épouvantable, On m'a gratifié des pires bus de la compagnie et confié des runs à problème perdus au fin fond à l'autre bout d'Ottawa, je commençais tôt le matin et finissais pour ainsi dire le dernier le soir ayant du mal à trouver une place pour garer mon bus. J'étais tout neuf et innocent, n'ayant jamais été petit élève transporté de la sorte, n'ayant aucune connaissance de la conduite en hiver (surtout venant de Bordeaux, France), c'est ce qui a fait que je me suis accroché au jour le jour, sans jamais me décourager, c'était un défit et il était de taille.

Pour ma deuxième années et les suivantes les choses se sont améliorés j'ai gagné en expérience et surtout j'ai pu desservir des écoles plus proches, réduisant ainsi considérablement mon temps sur la route. Tout s'est donc mis à rouler si l'on peut dire, dans une bonne routine, ce qui n'est qu'une façon de parler, quand tous les jours vous conduisez des dizaines d'enfants à l'école vous devez vous attendre à des péripéties quotidiennes intenses et variées, de tout ordre. Que se soit de gérer l'évacuation de toute bestiole volante ou autre du bus avec rapidité et efficacité, ainsi que tous les débordements inévitables de la vie en communauté fermée, les problèmes mécaniques ... Gérer les parents, les professeurs, les enfants, et votre direction hiérarchique. Seul maître à bord, certes et heureusement encore, mais avec des comptes à rendre à tout le monde.

Driver une compagnie d'autobus scolaire demande une belle organisation, tant sur le plan mécanique avec une bonne équipe de mécaniciens, que sur le plan logistique : accueil téléphonique, compta, etc... ainsi que la gestion d'un bon paquet de chauffeurs (nous étions environ 350 sur le spot d'Ottawa). Avec mes collègues on a été bien surpris quand on nous a annoncé deux mois avant la fin de l'année scolaire que la compagnie fermait ses portes à Ottawa n'ayant pas réussi à obtenir ce qu'elle demandait pour faire ses routes. A 55 ans je ne pensais pas que je serais un jour licencié, c'était bien la première fois que cela m'arrivait et je me retrouvais sans emploi ainsi que mes 350 collègues. Je n'ai pas à me plaindre puisque j'ai eu droit à un généreux virement de deux semaines de salaire comme solde de tout compte avec six ans d'ancienneté. Je tiens à vous dire mes amis, qu'un licenciement collectif, c'est une expérience humaine déchirante et très difficile à vivre, tout ceux qui l'ont vécu pourrons certainement le confirmer, pour les autres ça reste un fait divers normal et banal dans notre société. Il est un fait indéniable qu'on ne peut rien comprendre sans l'avoir soi-même expérimenté. Le monde ne serait pas le même si tous nos dirigeants devaient pendant quelques semaines vivre avec le salaire minimum et travailler comme nous les petites gens le faisons, peut-être que certains d'entre eux auraient un peu plus de respect.

Certes nous n'étions pas la seule compagnie d'autobus scolaire, les autres ont donc sauté sur l'occasion de s’agrandir et nous nous sommes recasé rapidement. En fait ce fut un changement très positif que je ne regrette pas, bien au contraire, je peux le dire maintenant.

Une chose que je dois signaler, qui m'a agréablement surpris, c'est qu'il n'y a personne à quelques postes que ce soit dans une compagnie de transport scolaire qui ne possède son permis et ne puisse et ne prenne le volant pour remplacer un chauffeur absent et assurer ses runs, de la secrétaire, au responsable local. Tout le monde sera sur la route à un moment ou un autre de l'année, chacun sachant de quoi il s'agit et de quoi on parle. Cela je l'ai toujours énormément apprécié. Comme j'ai apprécié le tutoiement universel chez les francophone, l'absence de tension hiérarchique au travail, on se parle d'homme à homme (ou d'homme à femme) dans la franchise et le respect, en se disant ce qu'on a à se dire, tout en faisant attention à l'autre

Etre tous les jours sur la route avec comme seul but d'assurer la sécurité de nos élèves, est une grosse responsabilité. Certes nous ne sommes pas parfait et il nous arrive à tous de faire des erreurs, c'est pourquoi il est important de se remettre régulièrement en cause, et d'avoir beaucoup de rigueur. Pour la plupart nous le faisons pour gagner notre vie, certainement pas pour l'argent qu'on en retire, mais surtout pour cette satisfaction d’œuvrer pour les autres et d'être utile dans nos sociétés. Nous sommes des milliers de chauffeurs d'autobus scolaire en Amérique du nord et pour la très grande majorité nous prenons notre job au sérieux, en faisant plus que notre mieux, et nous en sommes fier.

Pour finir sur une note plus légère, ( qui explique peut-être pourquoi je m’épanche autant cette nuit ). Lors de notre meeting de sécurité jeudi dernier, j'ai pu échangé quelques mots avec mon ancienne chef qui avait la responsabilité de toute la branche Ottawa de mon premier employeur canadien et à qui je dois mon premier emploi ici. Elle est maintenant, comme moi, chauffeur d'autobus scolaire, et on se salue toujours de la main en grand sourire, quand on se croise dans la journée sur la route.



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